Zibeline mai 2019

Entretien avec Fabien Aïssa Busetta, qui veut démuséifier l’histoire de la Commune de Marseille

Qui va là ?

• 3 mai 2019⇒4 mai 2019 •

Entretien avec Fabien Aïssa Busetta, qui veut démuséifier l'histoire de la Commune de Marseille - Zibeline

Valérie Trébor et Fabien Aïssa Busetta sont partis à la recherche du Bataillon de la Belle de Mai. Celui qui a lancé la Commune de Marseille.

Zibeline : Votre compagnie Organon Art s’est lancée depuis plus d’un an dans un immense projet participatif, qui va réunir 115 adolescents sur scène. Quel rapport avec la Commune de Marseille ?

Fabien Aïssa Busetta : Le quartier ! Nous voulons démuséifier l’histoire et c’est ce quartier très populaire, composé de 60% d’immigrés comme aujourd’hui, qui a mené la Commune. Le Bataillon comptait 70% d’Italiens. Ils sont devenus Français en étant communards, en parlant au nom des dominés. La stratification sociale du quartier ressemble à celle de cette époque, elle est aussi la même qu’en 1936, avec des taux de chômage record, mais aussi une vitalité sans mesure : le quartier regorge de vie associative, d’initiatives militantes. De gens accidentés aussi, l’échec des soulèvements est dans leur ADN, et ils ne votent pas, à plus de 64% ! Mais l’espoir que la révolte reprenne un jour est là, et cette mémoire est comme un fantôme. Alors, comme au début de Hamlet, on cherche ces fantômes, on demande Qui va là ?

Et qui va là ?

Des enfants, avec lesquels nous avons réveillé cette histoire. On a travaillé avec deux classes du lycée Victor Hugo, d’autres des collèges Longchamp, Thiers et Alexandre Dumas, des classes de primo-arrivants. On a mené des dizaines d’ateliers avec chacun, on leur a raconté cette histoire, puis on a bâti une arche narrative, ils ont écrit des chansons. Aujourd’hui c’est ce travail qui va être montré. Mais on va continuer après, à la recherche du Bataillon, avec des chorales d’enfants, pour des représentations en 2020.

Que verra-t-on sur scène cette année ?

Une fiction d’anticipation. On a imaginé que dans quelques années ces quartiers populaires seraient visités par les touristes comme cela se passe au Brésil ou en Asie dans les bidonvilles. Ce nouveau slum tourism, le tourisme des taudis, où on va visiter la misère. Ces enfants auraient réalisé un film promotionnel de leur taudis, mais au moment de le présenter ils se révolteraient et retrouveraient cette mémoire enfouie de l’insurrection, celle qui a donné son nom au Boulevard de la Révolution.

De nombreux artistes ont travaillé avec eux…

Oui, Dorothée Sebbagh a réalisé le film avec eux, Richard Dubelski a composé la musique que les classes musicales de Thiers et de Longchamp vont jouer, Aurélien Desclozeaux leur a fait travailler la danse, le crump, Sedef Ecer et Fanny Blondel ont écrit avec eux le texte et les chansons, avec Valérie Trébor nous mettons tout cela en scène… Il y a aussi un petit orchestre de beatbox, pour que les enfants qui ne savent pas jouer d’instrument puissent aussi faire de la musique. Et Boulègue Télé, qui leur a appris à être reporters…

Avez-vous l’impression que ce projet a changé quelque chose en eux ?

C’est évident. Globalement, ils ont découvert le travail de recherche, aux archives départementales ils ont rencontré la mémoire des communards, mais aussi de Rosa Parks, Gaston Crémieux, Auguste Blanqui… Ils se sont transformés en reporters, ont interrogé des gens du quartier en leur demandant s’ils étaient les descendants du Bataillon de la Belle de Mai. Ils ont écrit des chansons, fait de la musique, ils se sont emparés de cette histoire qui cartographie le quartier où ils vivent. Et puis, individuellement, on a assisté à des émancipations incroyables. Des adolescents qui ne voulaient pas participer, et qui aujourd’hui sont les premiers à vouloir jouer sur scène, à s’emparer de la parole, à s’investir dans la fiction. À vouloir que ça ne s’arrête pas.

Et personnellement, que cela vous apporte-t-il ?

En tant qu’artistes, pour chacun d’entre nous, c’est passionnant. Nous faisons du théâtre documentaire, ancré dans le réel pour y puiser sa matière. Et puis nous habitons le quartier, ce 3e arrondissement dont on dit qu’il est le plus pauvre de France. Nos parents -Valérie Trébor est ma sœur- sont Tunisien pour l’un et Italienne pour l’autre. Ce pont entre la Commune et notre temps, entre l’immigration Italienne et celle d’Afrique du Nord, est évidemment notre histoire.

Entretien réalisé par AGNÈS FRESCHEL
Avril 2019

Belle de Mai à l’assaut du ciel
3 et 4 mai
La Friche Belle de mai, Marseille

Photo : -c- Organon Art Cie